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Lev Yachine tissa sa toile

Le poste de gardien de but est le plus sous-médiatisé dans une équipe de football alors qu'il revêt pourtant un rôle déterminant dans la bonne tenue de son équipe. Quand on parle d'une grande équipe le premier joueur que l'on citera sera à coup sur un joueur de champ. Malgré tout, il y a une exception qui confirme la règle. Son nom? Lev Yachine. Seul portier à avoir gagné un Ballon d'Or, il aura ébloui le football mondial et s'est imposé comme le meilleur gardien de son époque, et encore aujourd'hui de l'histoire.

Lev Yachine tissa sa toile
Yachine en 1971 à l'occasion de son jubilé
maximecaze
Par Maxime Caze

Une enfance difficile

Né le 22 octobre 1929 à Moscou, Lev Yachine ne choisi pas vraiment le bon moment pour découvrir le monde. Deux ans plus tôt, Staline a pris le contrôle de la Russie et les conditions de vie ne sont pas terribles tellement les règles prônées par le dictateur communiste sont sévères. En 1933, six millions de personnes sont victimes de la faim… Très tôt, le football est une sorte d’évasion pour lui, comme pour beaucoup d’autres jeunes russes. Mais là encore, le contexte de ces années va le stopper dans sa continuité. En 1941, il est contraint d’arrêter provisoirement son sport favori alors qu’il n’a que 12 ans. En effet, la Seconde Guerre Mondiale bat son plein et l’Allemagne nazie vient de bafouer le pacte conclue avec la Russie. Ainsi, les hommes doivent aller aux combats et les femmes et enfants comme Lev doivent aller aux usines pour combler le manque de main d’œuvre.

Il se retrouve donc à l’usine de Touchino, là où ses parents sont employés. A la fin de la guerre, il intègre l’équipe de football de l’usine à 16 ans. Il débute en tant qu’ailier gauche mais très vite, il trouve sa vocation en devenant au fil du temps gardien de but. Plutôt logique puisque son idole, Alexei Khomich, était lui-même un gardien de but… Parallèlement, il garde aussi les buts de l’équipe de hockey sur glace. Tout sauf anecdotique puisque le gardien de hockey doit sortir de son but assez souvent et joue parfois un rôle de libéro pour reprendre le vocabulaire footballistique. Cette expérience aura une véritable influence dans le futur jeu du soviet.

Le jeune aux dents longues prend la place de son idole

Les performances de Lev dans les buts de son équipe ne passent pas inaperçues. En 1949, le Dynamo Moscou lui offre donc son premier contrat. En signant avec cette institution du football soviétique, il s’évite aussi une tâche ardue : le service militaire. En effet, le Dynamo est le club de l’armée et ses joueurs n’ont pas à faire leur service. Une bonne chose qui va lui permettre de se concentrer sur son jeu, même s’il va devoir s’armer de patience. En effet, lorsqu’il arrive au Dynamo, le poste de gardien de but est solidement gardé par…Alexei Khomich himself. Lev ronge son frein sur le banc des remplaçants pendant de nombreux mois avant qu’un premier tournant n’intervienne.

En 1950, Khomich se blesse et laisse une opportunité à Yachine de montrer ce qu’il vaut. Mais le natif de Moscou va gâcher cette chance en concédant un but stupide alors que son équipe menait 1-0. Surtout, après le match, il aura le malheur de faire dans l’auto-dérision en disant : « J’ai quand même arraché le match nul ». Sauf que le régime communiste n’a pas trop envie de blaguer. Il sera suspendu de l’équipe première pendant deux ans. Il continuera donc d’évoluer avec la réserve de l’équipe de football, mais également avec celle de hockey sur glace. En 1953, il remportera même la coupe de Russie de la discipline. C’est aussi cette année que sa carrière va prendre un tournant décisif.

A l’aube de cette saison, Khomich quitte le club moscovite et signe au Dinamo Minsk. Lev est donc propulsé numéro un dans les buts du Dynamo Moscou. Après avoir gâché sa première chance trois ans plus tôt, il ne déçoit pas cette fois et s’impose à 24 ans comme le meilleur gardien du pays après seulement quelques mois en tant que titulaire. Ses performances de grande classe lui valent d’être sélectionné pour la première fois avec l’équipe nationale en 1954. Le début d’une longue et riche histoire avec le maillot rouge de l’URSS.

Le bloc de l’Est, c’est lui

Il va véritablement devenir un monument dans la patrie du communisme. En effet, à partir de 1954, il va garder le but du Dynamo pendant toute sa carrière jusqu’en 1970 et se forgera un palmarès monstrueux puisqu’il a été 5 fois champion d’URSS et 3 fois vainqueur de la coupe. En sélection, c’est la même chose, entre 1954 et 1966, il porta le maillot rouge à 78 reprises et sera l’un des éléments clés de cette équipe. Mais, bloc communiste oblige, les clubs soviétiques ne prirent part à aucune compétition européenne jusqu’au début des 70’s et il n’a pas eu l’occasion d’aller chercher une consécration avec son Dynamo sur le plan international. Mais à l’époque, ce sera surtout son style de jeu et ses aptitudes hors du commun qui en feront un monument du football mondial. Alors qu’à cette époque là, le poste de gardien de but est totalement à part, il va révolutionner la façon de jouer ce poste. Il est l’un des premiers à boxer les ballons au lieu de les arrêter tout le temps et surtout, il est le premier à oser sortir de sa surface de réparation pour participer au jeu ou contrer des offensives adversaires. Des choses banales aujourd’hui, mais qui ne l’étaient pas à l’époque.

Mais en plus de ça, le portier soviet possède la panoplie complète du gardien de but et est certainement l’un des plus complets de l’histoire. Du haut de son mètre 90 et à l’aise dans les sorties aériennes, sur sa ligne ou dans le jeu au pied, il était moderne pour son époque. Et ça fonctionnait bien. En effet, Yachine est en tête d’un classement révélateur qui prend en compte le nombre de fois qu’un gardien a terminé une rencontre sans concéder de buts. Lorsque l’on fait le ratio de cela, Yachine est en tête avec un ratio hallucinant de 0,33 ! Il avait aussi un petit faible pour les tirs aux buts. Si ces stats ne sont pas officielles, il aurait arrêté la bagatelle de 150 penaltys ! Propre. Plus simplement, l’ « araignée noire » ne prenait pas de buts un match sur trois, et cela durant une carrière de seize ans ! Une solidité hors du commun qui lui vaudra de nombreux prix, dont le fameux Graal pour tout footballeur.

Seul gardien de but Ballon d’Or

1963 sera une année historique pour Lev et pour le football en général. Le soviet a 34 ans et est déjà considéré comme le meilleur gardien du monde depuis de nombreuses années. Il a déjà été élu à cinq reprises meilleur gardien d’Europe (il le sera encore trois fois après) et l’URSS est au sommet de son art. Lors de la première édition de l’Euro de football en 1960 disputée sur le sol français, c’est bien l’équipe soviétique qui s’imposera. En finale, les potes de Yachine se déferont d’une équipe de Yougoslavie qui venait pourtant de mettre cinq pions en demis finale à la France de Herbin. Mais en finale, les yougoslaves tomberont sur un mur que seul Galic réussira à briser une fois. Sauf que les soviets auront la bonne idée de planter deux fois. C’est aussi durant cette période que son célèbre surnom d’ « araignée noire » est apparu. Déjà habitué à jouer en noir de bas en haut, il ajouta une casquette à sa panoplie. Un esthétisme particulier dont s’inspira notamment Fabien Barthez pour rendre hommage au soviet.

Mais en 1962, durant le mondial au Chili, la fin sembla proche. Il disputera la compétition malgré deux commotions cérébrales mais ces blessures auront un impact important sur ses performances. Il prendra de nombreux buts et concéda même un corner direct lors d’un match contre la Colombie… Au final, la sélection sort en quarts de finale et le presse sportive parle d’une préretraite. Sauf qu’en 1963, il réalise une saison monstrueuse avec son club en remportant le titre mais c’est certainement en octobre qu’il va se faire le plus remarqué. Pour fêter les 100 ans du football en Angleterre, un match est organisé avec les plus grands joueurs de la planète dont Lev. Durant les 45 minutes qu’il va disputer, il va régaler le public en sauvant son équipe à de nombreuses reprises et en montrant sa palette quasi parfaite du gardien de but. Cela nous amène donc au 17 décembre 1963, un jour historique. Il reçoit le titre suprême individuel à cette date : le Ballon d’Or. Il devance au palmarès un futur lauréat, Gianni Rivera, et l’anglais Jimmy Greaves. Aujourd’hui encore, il est le seul gardien de but à l’avoir remporté même s’ils sont plusieurs à n’être pas passés loin comme Zoff, Buffon ou Casillas. Mais au final, c’est la consécration pour le soviet.

Un héritage hors du commun

Quand il reçoit ce ballon d’or, Yachine a déjà 34 ans et est plus proche de la fin que du début. Malgré tout, il emmènera l’URSS en finale de l’Euro 1964 et en demis finale du mondial 1966 en Angleterre, à 37 ans. Finalement, il stoppera sa carrière internationale à 38 ans avant d’arrêter définitivement en 1970, à 41 ans. En URSS, c’est un véritable héros, il a même été décoré de l’ordre de Lénine, plus haute décoration du régime soviétique. En 1971, lorsqu’il organise son jubilé, le gratin du football mondial de l’époque est présent (Bobby Charlton, Gerd Müller, Hristo Bonev…) et ils sont plus de 100 000 à s’amasser dans les travées du Loujniki de Moscou pour voir une dernière fois le meilleur gardien du monde. Sa carrière terminée, il restera au Dynamo Moscou et occupera plusieurs fonctions au sein du club.

Son impact sur le football sera d’une intensité rare. Tous les meilleurs gardiens de sa génération ou de la suivante ont toujours loués ses qualités et l’ont pris pour modèle comme Sepp Maier, Gordon Banks ou encore Peter Shilton. Du très beau monde. Depuis 1994, le Prix Lev Yachine est désormais remis au meilleur gardien de la Coupe du Monde. De plus, une expression désormais courante en Russie est en vigueur pour désigner un gardien qui atteint les 100 matchs sans encaisser de buts : il entre dans le « Club Yachine ». Il a aussi le droit à sa statut devant le stade du Dynamo, club dont il est toujours le joueur le plus capé. Beaucoup d’honneurs et de récompenses encore aujourd’hui pour celui qui est le meilleur à son poste dans l’histoire. Mais la fin de sa vie ne sera quant à elle pas si joyeuse. En 1986, il est dans l’obligation de se faire amputer une jambe. Comme c’était le cas à l’époque en URSS, Lev ne bénéficiera d’aucun traitement de faveur du régime et terminera sa vie dans la misère dans un appartement typique du régime soviétique. Finalement, le 21 mars 1990, il décédera d’un cancer à l’estomac. Un an après la fin de son dernier rempart favori, le bloc communiste s’effondra. Un beau symbole.